Alpes (2009-2012)
EN The mountains are a place of great nature and magnificent landscapes. Matthieu Gafsou focused on Swiss Alps in summertime, and one can imagine him striding along summits with his material, continuing the representation of nature work which was started centuries ago, the Grand Tour, Friedrich, Turner... But, while the viewer travels all over the glaciers, the lakes and the peaks without any effort, some characters appear on the pictures, disturbing his contemplation: there is 10 people around on the top, and even more at the high altitude restaurant. Matthieu is trying to express something else while showing these tourists and installation, in such inaccessible places. He questions our relationship with nature, and the lost of genuineness and solemnity of the mountains caused by our presence. The viewer may smile, uncomfortably, seeing that sublime object of our fascination exposed like a fish on the end of an amateur fisherman.
FR La montagne est connue pour ses paysages magnifiques. Matthieu Gafsou s'est concentré sur les Alpes suisses en été, et on peut l'imaginer arpentant les sommets avec son matériel, poursuivant le travail de représentation de la nature commencé il y a des siècles, le Grand Tour, Friedrich, Turner... Mais, alors que le spectateur parcourt sans effort les glaciers, les lacs et les sommets, des personnages apparaissent sur les images, perturbant sa contemplation: il y a 10 personnes au sommet, et encore plus au restaurant d'altitude. Matthieu cherche à exprimer autre chose en montrant ces touristes et cette installation, dans des lieux si inaccessibles. Il remet en question notre relation avec la nature, et la perte d'authenticité et de solennité des montagnes causée par notre présence. Le spectateur peut sourire, mal à l'aise, en voyant l’objet sublime de notre fascination exposé comme un poisson au bout de la canne d'un pêcheur amateur. (1980 Editions)
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– Te venger sur une simple brute muette, répliqua Starbuck, qui ne t’a frappé que par l’instinct le plus aveugle... Folie ! S’acharner contre une chose muette, capitaine Achab, me semble un blasphème.
– (...) Gars, tous les objets visibles ne sont que des mannequins de carton, mais dans chaque événement... dans l’acte vivant... au-delà du fait incontestable, quelque chose d’inconnu et qui raisonne se montre derrière le mannequin qui, lui, ne raisonne pas. 1Herman Melville, Moby Dick, Paris, Gallimard, 2011 [1941], p. 236
Blanc carton par Aurélien Métroz
Loin des rumeurs de la ville, aux confins des vallées silencieuses où somnole sereinement un lac de montagne, un rayon oblique découvre la hanche raide d’un pylone électrique. Au premier plan, dans l’ombre, un amas de pierres qui épouse la netteté suspecte des cartons ou des Sagex dispute aux cimes lointaines le premier rôle. Le spectateur hésite : l’intrigue naît-elle de la rencontre heureuse de cette force sacrée et muette qu’il est venu glâner sur les monts solennels ou perce-t-elle plus sournoisement dans la collision fortuite entre cette première idylle et le trivial ? Ailleurs, les remontées mécaniques accouchent d’un groupe de touristes. Tous les âges et toutes les modes vestimentaires composent ce portrait de familles hétéroclites où l’on chancelle à l’appui d’un alpenstock de fortune, hume le sol dans la crainte d’une chute éven- tuelle, chaloupe adroitement sous l’emprise d’un hip-hop qui tonne dans la tête depuis l’avenue de la gare. On s’amuse un peu de les voir s’esbaudir comme des pingouins d’une autre banquise, lui sous son pull en laine et ses velours côtelés taillés pour le golf, elle sous le pardessus blanc un peu trop chic pour la circonstance, eux qui arpentent la neige comme on entreprend un passage clouté, flanqués de jeans délavés et de sacs de cuir. Mais que l’on soit grand-père ou orphelin, fraîchement concubins ou arrangés de longue date, bambin ou parents, on cède uni- formément, comme par magie, à l’attraction de ce sol que l’on fixe pour mieux ignorer les parois rocheuses alentours...
En voilà un paradoxe. Plus les Alpes se rendent proches par le per- fectionnement des moyens d’accès, plus leur statut de paysage semble reculer. Plus les moyens d’en prendre en charge les contours se multi- plient (remontées mécaniques, appareils photo, restaurants d’altitude), plus la montagne se retire. Une première photographie l’exhibe d’une façon provocatrice qui invite le spectateur à questionner son rapport au paysage alpin sur un ton doucement ironique. Campé sur la pente nei- geuse, un touriste asiatique prend la pose d’un karatéka. Poings serrés et comme prêt à bondir, l’homme semble au milieu d’un ring. Pris d’une transe virile il défie torse nu un adversaire que la photographie garde celé, et l’on s’attendrait à un combat très rude si le reste de son habillement n’était pas celui d’un employé de bureau modèle. Lieu d’un spec- tacle inédit où elle cède la vedette au voyageur de quelques heures, la montagne, discrètement signalée par un vague rocher, n’opère plus que comme simple décor. Le blanc immaculé des Alpes, objet depuis des siècles d’une fascination quasi mystique, ne sert plus ici que comme un support destiné à la mise en valeur du dieu du stade.
Sur une terrasse d’altitude, un quinquagénaire qui s’affiche en ber- muda de marque et en polo interroge un probable collectionneur de clichés : « Louise, tu m’as bien en entier... un peu sur la droite dis-tu... comme ça?». Derrière la barrière métallique, les grands cirques mon- tagneux plient l’échine et se rangent en douce sous l’épaule du conquis- tador qui ramènera son trophée à domicile. Plus loin, depuis les vitres de la véranda, les flancs obscurs des forêts alpines s’effacent derrière le sel et le poivre disposés sur une table vide...
De ces scènes cocasses, nous pouvons extraire un glissement plus ou moins unanime du statut du paysage. Il faut le dire, les Alpes, contrairement aux idées reçues, n’ont constitué un intérêt esthétique que bien tardivement. Les voyageurs du XVI e et XVII e siècle abhorraient ce lieu sinistre peuplé de diables et de dragons. Perçue par ailleurs comme parfaitement anarchique dans son grouillement d’aiguilles et son amoncellement de rocs désordonnés, la montagne rebute le randon- neur classique, dont le regard est conquis aux allées de jardins géomé- triquement dessinées. Or, si la mode du Grand Tour, amorcée par la noblesse anglaise et française au XVIIIe siècle, a fait du franchissement des Alpes une étape obligée du voyage culturel qui devait la conduire aux vestiges de la Rome antique, c’est au XIXe que le croissant alpin devient le foyer où se déchainent tous les fantasmes esthétiques des romantiques.
Fondée sur la théorie du sublime, cette vague artistique convertit la montagne en une scène quasi métaphysique où l’homme prend le pouls d’une nature gigantesque. Sur la toile des peintres, on s’abîme dans des gouffres vertigineux, on respire sur des vides insondables, on prise la crinière étrange de la brume. La chevelure bêle au vent, les rocs font des gueules tordues qui grognent contre les formes quelque peu rigides du paysage classique. Le spectateur du sublime doit à la fois sentir la puissance hostile d’une nature où il devient possible de mourir, et être rassuré par l’effet esthétique que produit la représentation artistique. Rendu mieux que jamais par le terme de delight, le sentiment ambiva- lent qui imprègne le voyageur oscille selon Edmund Burke entre la fas- cination et l’effroi, le plaisir et la peur. Pour le théoricien anglais, comme pour son homologue allemand Immanuel Kant, le sublime entraine une sorte de dérangement au sein de nos facultés : les sensations éprouvées sont si puissantes que l’entendement paraît bousculé dans son fonctionnement, les concepts qu’il génère semblent trop vulnérables face au spectacle bruyant de la nature. Celle-ci dispense à l’homme un sens qui échappe à ses facultés, excède ses capacités d’analyse.
Dans le magnifique roman d’Herman Melville, Moby Dick, le narra- teur dit précisément de la baleine ce que l’on peut ressentir au contact du sublime: «Sans parler de ce qui saute au yeux à propos de Moby Dick, et qui peut effrayer l’âme de n’importe quel homme, il y avait une autre image ou plutôt une idée terrible d’elle, indescriptible toutefois, mais qui, par son intensité, dépassait parfois tout le reste ; quelque chose de mystique, voire d’ineffable, qui désespérait l’entendement. Par-dessus tout, c’est la blancheur de la baleine qui m’épouvantait ». Non seulement les photographies de Matthieu Gafsou répercutent finement l’écho du sublime, mais elles le mettent en scène d’une manière qui questionne sa survie au sein du paysage alpin contemporain. En quoi la montagne peut-elle encore être perçue comme sublime à l’âge du tourisme de masse, de l’inflation des infrastructures d’altitude et de la commercialisation de ses glaciers ?
Subrepticement, et sans verser dans la nostalgie, la série de photo- graphies conserve par instants des élans ouvertement sublimes. C’est le cas de cette paroi abrupte sertie de glaces, dont la brume cache les sommets pour mieux les rendre inaccessibles. Et puis de ces crêtes endurcies par le givre qui semblent émerger par bribes derrière les vapeurs. Mystérieusement, dans l’arrière-fond, quelque chose se trame qui se soustrait au regard et qui appâte l’imagination. Mais ne serait-ce pas un autre sublime, moins évident, à la fois inquiétant et espiègle, qui point à travers le blanc des cimes ? Étrange voile blanc jeté sur les côtes du glacier pour mieux en dissimuler les blessures, tandis que des spécialistes veillent au chevet de névés prêts à fondre... Saisie à travers une vue plongeante qui accroît l’effet d’écrasement, la toile dessine la carcasse d’un mammifère venant expirer sur la grève. Moby Dick, la baleine blanche qui résiste à tous les harpons serait-elle morte pour la première fois de l’histoire ?
Que Moby Dick meure, voilà tout un imaginaire qui disparaît avec elle. Signe privilégié d’un sacré inviolable, qui échappe à toute prise humaine, la baleine devenue dépouille marque la fin vraisemblable du sublime. Venue cueillir la pureté immaculée des glaciers, la procession de randonneurs rencontre un linceul.
Reste qu’une atmosphère faussement tragique entoure cette dispa- rition, puisque le groupe ne fait pas mine d’en être affecté et semble vouloir poursuivre sa marche triomphale vers les sommets. Dès lors, on peut se demander si la toile ivoire n’a pas pour vertu de concilier deux sentiments contradictoires : celui, tragique, de la mort du sacré, et celui, primesautier, qui se rapporte aux pratiques touristiques. Celles-ci confèrent au paysage alpin une valeur symbolique qui dissone franchement avec l’imaginaire conventionnel de la montagne.
Le blanc du linceul prend alors des allures spectaculaires, au sens propre du terme. Il a quelque chose du rideau que l’on tire dans les
théâtres, du voile qui couvre les pièces temporaires d’un musée, de la robe lumineuse des chapiteaux. Il a quelque chose du vernis que l’on applique aux légumes les plus cabossés dans un marché. Il dit à la pro- cession enthousiaste que le site doit être encore apprêté et mérite quelques retouches. Aussi le glacier auquel on prodigue d’infinis ban- dages devient un spectacle qu’il faut vendre.
Pourtant, au-delà du constat qui désenchante s’esquisse une sorte de ravissement inattendu. Sur un cliché pour le moins emblématique, Matthieu Gafsou refuse de nous mettre dans un rapport immédiat avec le paysage. Il préfère au contraire attirer le regard sur ses coulisses, montrant comment celui-ci est pris en charge par une collectivité res- treinte de touristes. Ainsi ce n’est plus le paysage qui devient objet de la photographie mais le regard qui le suppose. À travers un effet de miroir subtil, nous captons la pose de randonneurs sur le rebord d’une terrasse, l’air rassasié et les visages orientés vers de possibles cimes. Si les appareils photo crépitent de tout feu, et qu’une série de flash harponnent les glaciers, ils ne parviennent pas à saisir la masse fugace des monts, venant mystérieusement se refléter dans la fenêtre à laquelle ils sont adossés... Comme si, par un tour de magie, le paysage, après avoir expiré de tant d’usages conventionnels, renaissait dans le dos de ses observateurs, et qu’un autre sublime, plus retors, refaisait surface à l’abri des projecteurs.
D’ailleurs, cet air sublime, nous sommes amenés à le reconnaître dans cette série de blancs presque monochromes, où la montagne paraît dure et altière, ciselée dans des blocs d’un gris très net qui la rend irréelle. Muette... Là encore on hésite. Est-elle ramenée ainsi à sa pre- mière pureté, celle, mystique, qui se dérobe à toutes les prises, ou se fige- t-elle une dernière fois dans ses découpures de cartons et de Sagex? L’insondable auquel convie ce paysage se mesure à cet écart indéci- dable, qui voit simultanément Moby Dick mourir et ressurgir. Ce sublime de second degré, mâtiné de mysticisme et d’ironie, opère comme cet «événement», «cet acte vivant» qui raisonne derrière «les mannequins» du visible. Cette prise qui refuse le harpon est peut-être bien celle de Matthieu Gafsou !
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“Vengeance on a dumb brute!” cried Starbuck, “that simply smote thee from blindest instinct! Madness! To be enraged with a dumb thing, Captain Ahab, seems blasphemous.”
“ (...) All visible objects, man, are but as pasteboard masks. But in each event – in the living act, the undoubted deed – there, some unknown but still reasoning thing puts forth the moldings of its features from behind the unreasoning mask.”Herman Melville, Moby Dick, Ignatius Critical Editions, p. 208
Cardboard white by Aurélien Métroz
Far from the rumble of the city, within the confines of silent valleys where a mountain lake serenely lies, a slanting ray of light illuminates the stiff contours of an electricity pylon. In the shadow of the fore- ground, a pile of stones with the suspiciously crisp outlines of card- board or Styrofoam imitations competes with the far-off peaks for the starring role. The viewer hesitates: does this scene’s appeal stem from the happy experience of this sacred and silent force that he has come to garner on these solemn mounts, or does it emerge furtively from the unexpected collision between this first idyll and the trivial? Elsewhere, a mechanical ski-lift spews out a group of tourists. People of all ages wearing every style of clothing make up this portrait of miscellaneous families: some teeter along leaning on makeshift alpenstocks, others test the ground for fear of a potential fall or sway deftly to a hip-hop beat that has been thumping in their head since they arrived at the station. It is amusing to see them playing about like penguins from another ice floe, one in his woolen jumper and golf corduroys, another in her white overcoat that is a tad too chic for the circumstances, or them over there striding through the snow as you would over a pedestrian crossing, wearing stonewashed jeans and carrying leather bags. Grandfather or orphan, new couples or old, children or parents, as if by magic all fall under the spell of this ground, gazing at it in order to avoid seeing the rock-faces all around.
Herein lies a paradox. The easier the Alps become to visit as access improves, the more their status as a landscape is lost. As the means to take control of these slopes increases (ski lifts, cameras, mountain-top restaurants), so the mountains shrink back. A first photograph provocatively expresses this, inviting the viewer in a quietly ironic tone to question their relationship with the Alpine landscape. Standing firmly on a snowy slope, an Asian tourist strikes a karate pose. Fists clenched and ready to leap into action, the man appears ready for combat. In a state of heightened virility, he bares his chest to an opponent that the photographer leaves hidden, and we could expect a serious fight were it not for the rest of his outfit–that of a perfect office worker. As the setting for a new spectacle in which the day tripper is star, the mountain landscape, discreetly indicated by a rocky crag, now functions as
nothing more than a backdrop. The immaculate white of the Alps, that almost mystical object of centuries-old fascination, is here no more than a podium showing this martial arts master to his advantage.
On a terrace at high altitude, a man in his fifties sporting Bermuda shorts and a polo shirt checks his pose with an apparent collector of clichés: “Louise, have you got all of me in the frame... a bit to the right, you say... like that?” Behind the metal barrier, the great ranges of mountains bow down and quietly arrange themselves behind the shoulder of this conqueror who will then take his trophy home. Further on, the dark slopes of Alpine Forest visible through the windows of a veranda are eclipsed by the salt and pepper set on an empty table.
From these comical scenes, we can observe a uniform shift in the status of the landscape. It must be said that, contrary to common belief, the Alps did not become an object of aesthetic interest until quite late. The travelers of the 16th and 17th centuries were horrified by this sinister place filled with devils and dragons. Mountain ranges were moreover perceived as the quintessence of anarchy and their confusion of peaks and clumps of disorderly rocks repelled the typical walker, whose sight was enchanted by the paths of geometrically laid out gardens. While the fashion for the Grand Tour started by the British and French nobility in the 18th century made going over the Alps a necessary part of the cultural voyage that led to the vestiges of Ancient Rome, it was in the 19th century that the crossing of the Alps became the cradle of aesthetic and Romantic fantasies.
Founded on the theory of the sublime, this artistic movement trans- formed mountains into an almost metaphysical setting where man could feel the pulse of a gigantic form of nature. Painters’ canvases from the time plunge us into vertiginous chasms, we breathe the air above unfathomable voids and marvel at the strange haze of mist. The trees sigh in the wind, the rocks make tortured faces which growl at the softer shapes of the classic landscape. The person gazing on the sublime must at once feel the hostile and possibly deadly power of nature and be reassured by the aesthetic effect that the artistic portrayal produces. Captured best by the term delight, the ambiguous feeling that fills the traveler oscillates, according to Edmund Burke, between fascination and dread, pleasure and fear. For the English philosopher as for his German counterpart Immanuel Kant, the sublime produces a sort of disturbance of our faculties: the sensations experienced are so powerful that the functioning of our understanding is perturbed, the ideas that it generates seem too vulnerable when faced with the deafening spectacle of nature, which bestows upon man a meaning that is beyond his understanding, that exceeds his analytical capacities.
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In Herman Melville’s magnificent novel Moby Dick, the narrator clearly says of the whale what one can feel when in contact with the sublime: “Aside from those more obvious considerations touching Moby Dick, which could not but occasionally awaken in any man’s soul some alarm, there was another thought, or rather vague, nameless horror concerning him, which at times by its intensity completely overpowered all the rest; and yet so mystical and well-nigh ineffable was it, that I almost despair of putting it in a comprehensible form. It was the white- ness of the whale that above all things appalled me.” Not only do Matthieu Gafsou’s photographs subtly pick up the echo of the sublime, but they display it in a way that questions its survival in a contemporary Alpine landscape. How can mountains still be perceived as sublime in the age of mass tourism, the growth of high-altitude infrastructures and the commercialization of glaciers?
Without spilling over into nostalgia, this series of photographs at times quietly conserves an overtly sublime energy. Such is the case with this sheer wall of rock dotted with ice, the summit of which is hidden in mist in order to make it even more inaccessible. Then there are crests hard with ice which seem to emerge gradually from behind the cloud vapor. In the background, something mysterious is hatching and though it eludes our vision, it stimulates our imagination. Could this be another, less evident kind of sublime, at once disconcerting and playful, that is showing through the white of the peaks? A strange white veil has been thrown over the ridges of the glacier to better conceal the wounds as specialists carefully observe the snowfield on the point of melting. Captured from a plunging point of view which enhances the overwhelming effect, the image seems to portray the carcass of a mammal that has just washed up on the shore. Would Moby Dick, the white whale that is impervious to all harpoons, be dead for the first time in history?
Should Moby Dick die, a whole image would die with him. The privileged symbol of a nature that is sacred and inviolable, beyond all human control, the whale become carcass likely marks the end of the sublime. The procession of walkers come to admire the immaculate purity of the glaciers come across a shroud instead.
The atmosphere surrounding this death is nonetheless falsely tragic as the group do not appear affected and seem keen to continue their triumphant march to the summits. We can then ask ourselves whether the bright white photograph does not in fact have the virtue of reconciling two contradictory sentiments: the tragic death of the sacred and the impulsive character of tourist behavior. This latter bestows a symbolic value on the Alpine landscape that is painfully at odds with the traditional image of mountain areas.
The white of the shroud takes on a spectacular air, in the true sense of the word. There is something of the lowered theatre curtain, of the
dust sheets covering temporary pieces in a museum, of the big top’s luminous attire. There is something of the varnish applied to the most battered vegetables at a market. It tells the enthusiastic procession that the site still needs to be finished and requires a few more touch-ups. The glacier swathed in endless bandages becomes a spectacle to be sold.
However, over and above this declaration of disillusionment appears an unexpected sort of rapture. In a photograph that is emblematic to say the least, Matthieu Gafsou refuses to put us in direct contact with the landscape. Rather he prefers to draw our attention behind the scenes, showing how it is used by a small community of tourists. It is not the landscape that is the subject of the photograph but the gazes that imply it. Through a subtle mirror effect, we observe the walkers’ poses on the edge of a terrace: they look replete, and their faces are directed towards potential peaks. Although the cameras may be clicking away and a series of flashes harpoons the glacier, they fail in capturing the fleeting mass of these mountains that is mysteriously reflected in the window behind the tourists. It is as if by some magic trick, the landscape, having exhausted so many conventional uses, was being born again behind the observers, and another, craftier kind of sublime was resurfacing, this time sheltered from the spotlight.
Moreover, we are encouraged to recognize this sublime trait in the series of almost monochrome whites where the mountains appear hard and haughty, sculpted in blocks of intense grey which make them unreal. Blank – but here again we hesitate. Are they taken back to their initial, mystic purity; over which we can have no hold, or are they fixed for the last time in cardboard and Styrofoam cut-outs? The unfathomable idea to which this landscape invites us can be measured against the irreparable divide which sees Moby Dick simultaneously die and be reborn. This version of the sublime tinged with irony and mysticism functions like this “event”, this “living act” which reasons behind the “masks” of the visible. Matthieu Gafsou has perhaps truly found the hold that does not need a harpoon.
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De quelle manière as-tu été amené à porter ton regard sur les paysages alpins helvétiques et quels ont été tes premiers constats ?
Deux facteurs ont d’emblée contribué à l’orientation prise par ce projet. D’une part, dans le cadre de mes études en Lettres, j’ai été amené à traiter des questions touchant à la notion de paysage et ces diverses thématiques n’ont jamais cessé de m’intéresser. J’ai eu envie de faire le lien entre cette dimension théorique et mon travail photographique. D’autre part, lors de voyages en Écosse et aux Etats-Unis où je prenais des photographies comme n’importe quel touriste, j’ai pu comprendre un dilemme inextricable: notre simple présence dans ces lieux suffit à annuler la quête d’authenticité qui est généralement à l’origine d’un voyage. Au terme de ces tours, j’ai sélectionné six ou sept images qui m’ont offert les esquisses du projet et du langage que je souhaitais développer. Les Alpes suisses se sont d’emblée imposées comme un terrain de jeu particulièrement propice pour aborder ces questions. Même si j’ai toujours aimé explorer ces zones montagneuses, notamment en Valais, je me suis rapidement aperçu que j’avais toujours été attiré par une montagne relativement protégée. À travers ce travail, j’ai été amené à découvrir une dimension totalement profane de la montagne qui s’inscrit dans les logiques actuelles de consommation. Chinois, Indiens ou Brésiliens, on trouve notamment un nombre croissant de visiteurs en provenance de pays émergents. La diversité du tourisme moderne participe à une conception toujours plus désacralisée du paysage montagneux. Cette conjoncture inédite m’a fasciné et elle s’est naturellement imposée comme le fil conducteur de mon projet.
D’un point de vue esthétique, les Alpes constituent un patrimoine qui a déjà été largement traité, au risque d’être même quelquefois surexposé. De quelle manière t’es-tu positionné par rapport à ces traditions et ces clichés ?
À vrai dire, lorsque j’ai entamé mes recherches, je n’ai pas apporté une attention particulière aux questions touchant les canons esthétiques. Lorsque j’entame un projet, mon but est avant tout de creuser ma propre voie et, dans la mesure du possible, j’adopte un regard presque naïf. Ce n’est que dans un second temps que je complexifie mon propos en mélangeant divers langages ou en faisant recours à des références. Évidemment, on a tous en mémoire des séries ou des images qui exercent une influence, sans pour autant pouvoir toujours retracer leur origine. Certaines séries de Raphael Hefti (Disco) ou Thomas Fletchner (snow) m’ont inspirés, mais ils s’inscrivent, chacun à sa manière, dans une vision romantique du paysage montagneux à la fois sublime et entièrement construit. Le plus gros problème avec la montagne, c’est sa beauté ! Il faut donc constamment se départir de cette tentation de faire une image trop belle, trop lisse pour ressortir quelque chose d’original. En ce qui me concerne, j’ai essayé de confronter le discours paysager, par définition assez neutre, avec le reportage, le style documentaire ou avec le second degré d’un Martin Parr. Mon objectif était d’intégrer tout cela dans un ensemble cohérent, tout en assumant les collisions et les rencontres fortuites qui pouvaient en découler. Le voyage implique toujours une forme d’exotisme qui facilite beaucoup la pratique photographique en apportant un regard frais sur les choses. Toutefois, pour trouver cette même distanciation avec un environnement familier, il me fallait un peu plus d’expérience, avoir réalisé plus de projets.
Quelle a été l’influence du Grand Tour sur ton approche du paysage alpin contemporain ?
Le Grand Tour constitue effectivement un repère incontournable dès qu’on touche aux Alpes. Cette expérience sensible de l’homme, en règle générale des jeunes aristocrates anglais, qui passait par un épisode alpin et leur permettait de se retrouver face à une nature sublime et non domestiquée. Cet épisode initiatique a largement nourri l’idéal romantique de la découverte qui est à l’origine tourisme. La montagne, c’était ce bout de pays que le paysan utilisait pour cultiver son lopin de terre. Avec le Grand Tour et les interprétations des peintres, ce territoire laborieux s’est paré des atours du paysage. Cette forme de représentation à façonné de manière profonde et indélébile ce que nous percevons de la montagne. D’ailleurs, il y a dans mon travail une citation directe de Caspar David Friedrich et ce clin d’oeil visait à poser une fois pour toutes cette filiation incontournable avec le romantisme. Dans le même esprit, j’ai également choisi des lieux que Turner avait peints. C’est le cas notamment du Pont du Diable, et divers décors largement célébrés et qui sont désormais totalement méconnaissables. Les choses ont beaucoup changé depuis le XIXe siècle. Par exemple, les paysans endossaient le statut de bons sauvages alors qu’aujourd’hui ils sont devenus les principaux exploitants et bénéficiaires de cette économie. Ce transfert constitue une composante intéressante pour examiner comment la transmission et la gestion de ce patrimoine se sont transformées en profondeur avec l’avènement du tourisme de masse. Désormais, la montagne est devenue ce lieu habité et mis en scène par de nouveaux types d’habitants. Le paysage ne peut plus être envisagé au sens strict et pictural du terme. Cette notion dépasse ce qu’on embrasse du regard, et une multitude d’aspects deviennent des objets de recherche paysagers. En regard du caractère foisonnant, multiple, évolutif du médium, l’acte photographique participe activement à ces transformations identitaires. C'est pourquoi il y a toujours une dimension un peu sociologique dans la photo. En particulier lorsqu’on aborde des sujets où les différentes informations en présence sont tout aussi importantes que la manière de construire l’image.
Un projet comme celui-ci implique un certain nombre de contraintes d’un point de vue technique, logistiques, voire même physiques... Comment as-tu envisagé ces différentes contingences ?
J’ai toujours été un marcheur et même s’il m’est arrivé quelquefois de prendre le téléférique comme n’importe quel touriste il y avait toujours cette pratique de la marche qui fonctionnait comme un moteur à mes expéditions. Toutefois, cette expérience est fortement tributaire de l’effort à fournir, de la météo, etc., il s’agit par conséquent d’être organisé, précis et flexible. Au début, je travaillais à la chambre, même lorsque je devais accéder à des endroits très escarpés. Toutefois, notamment après quelques chutes, j’ai opté pour du matériel plus modeste, et surtout moins lourd. C’est la raison pour laquelle, je suis passé au moyen format. Mon approche du paysage est associée au temps lent et à certaines formes de décélération et il en va de même de ma représentation des touristes. Même s’il s’agit d’instantanés, j’ai cherché à les figer à jamais dans des attitudes théâtrales. Le fait qu’il s’agisse d’un environnement très stéréotypé a d’emblée constitué un défi très stimulant. Pendant plusieurs années, je pensais que c’était un lieu commun de faire un sujet sur les Alpes et il a vraiment fallu que trouve un angle original, et pas mal de confiance, pour me lancer dans cette aventure. J’ai commencé les images de la série en 2009 mais le corps du projet a été réalisé en 2010 lors d’un tour dans les Alpes suisses d’environ un mois. Par la suite, j’ai continué pendant deux ans en faisant ponctuellement des randonnées de un ou deux jours.
Parmi tes influences, tu cites également des écrivains et des photographies comme Jim Harrison ou Joel Sternfeld. Quelle a été l’influence de ces diverses traditions américaines ?
Shore, Sternfeld ou Lewis Baltz ont participé à construire un discours très original sur leur pays, mais cette tradition n’a jamais connu le même essor en Europe. D’une génération à l’autre, ils parviennent continuellement à dépasser les clichés de la carte postale en reformulant en profondeur les grilles de lectures à travers lesquelles leur pays peut être lu. En ce qui concerne Jim Harrison, comme chez de nombreux autres écrivains américains, j’apprécie ce rapport très pur, romantique, à la nature et au paysage qui est souvent inséparable d’une vie bohème. Le cheminement solitaire, la chasse, la pêche... ces formes d’expériences authentiques de la nature sont en quelque sorte inséparables de la marginalisation ou de l’errance. Même si cela peut sembler quelquefois idéaliste, j’apprécie particulièrement l’énergie qui se dégage de ces récits. À mon avis, les voyages doivent être indissociables de ces idées de distanciation et de perte des repères. Dans la mesure du possible, j’ai essayé de me glisser dans ce rapport beaucoup plus sensuel aux choses et il est pour ainsi dire impossible de se détacher de cet héritage américain.
De quelle manière les travaux d’Alain Roger, en particulier son concept d’artialisation, ont participé à nourrir ton propos ?
Le concept d’artialisation reste problématique, car il sous-entend que la notion de paysage est essentiellement définie par des critères culturels. J’ignore si je suis totalement d’accord avec une conception aussi exclusive. Notre rapport au monde est construit culturellement, c’est une réalité indéniable. Cependant, je continue à croire à une expérience plus directe du paysage. À mon avis, il subsiste toujours une émotion esthétique pure, non médiée par des impératifs culturels. C’est probablement à cause de cette tension que mon travail balance entre un regard analytique, voire sociologisant, et une approche beaucoup plus directe, plus spontanée. Toute la série repose sur la tension produite par cette ambivalence.
Une autre tension récurrente dans cette série est provoquée par le ton ironique qui la traverse. Était-ce une manière détournée pour porter une critique ?
Il y a en effet quelques piques et, dans certains cas, on frôle le grotesque. Toutefois, il existe une certaine limite que je ne souhaitais pas franchir et on est loin du ton moqueur adopté notamment par d’autres photographes qui ont abordé ces questions. Dans certaines séries de Martin Parr, en particulier Autoportrait, cela passe souvent par une bonne dose d’autodérision. Lorsqu’on traite des thèmes comme le tourisme, on doit constamment avoir à l’esprit qu’on se photographie inévitablement un peu soi-même. Cela génère des sentiments très paradoxaux qui vont du rejet à l’empathie, mais cela reste toujours d’ironie. C’est pour cette raison que je me suis largement inspiré du personnage de Monsieur Hulot de Jacques Tati. Il incorpore l’idée du type volontaire qui se trouve en décalage par rapport aux situations dans lesquelles il évolue. Mr Hulot est une très bonne représentation du touriste qui, presque par définition, interagit de manière déphasée vis-à-vis à son environnement direct. Mon but n’était pas de dire qu’ils ne devraient pas être là, mais plutôt de trouver les codes adéquats pour construire ce discours empreint d’ironie.
De cette manière, le touriste peut se réduire à une sorte d’archétype qui suivrait des modes d’opérations standards ?
Oui, en quelque sorte. D’ailleurs, le caractère très standardisé et ponctuel de ces moments d’exotisme est également très troublant. On est transbahuté d’un car à des décors panoramiques qui ont déjà été vus dans un catalogue ou sur Internet. On prend des photographies pour immortaliser ces moments supposés uniques ou dans le but de s’approprier un peu cette mythologie. Il n’y a plus véritablement une expérience de terrain ou une découverte progressive des espaces. Les voyages se transforment également de plus en plus comme un vécu collectif. On pourrait se demander si cette volonté d’être constamment en groupe ne coïncide pas avec une certaine peur de l’altérité. Désormais, même dans les voyages touristiques, l’ailleurs s’exprime toujours à travers le même. On a perdu l’idée de l’errance et nous sommes continuellement plongés dans ce rapport hyperconstruit, même lorsqu’on se trouve dans des environnements naturels.
De quelle manière as-tu envisagé les questions touchant à l’écologie?
Même si je m’intéresse à une nature qui est plus exploitée que protégée, l’écologie n’a jamais constitué une thématique centrale. Il y a cependant de nombreux constats à partir desquels il est possible d’entamer une discussion. Le premier est sans appel: le réchauffement climatique facilite l’accès du tourisme de masse aux sommets alpins. Grâce au train ou au téléphérique, il est devenu toujours plus facile de se promener sur des crêtes à 3000 mètres d’altitude. C’était totalement inconcevable il y a 50 ans. Cependant, je ne suis pas un militant et je n’ai jamais cherché à véhiculer cette dimension politique à travers ce travail.
On ne fait jamais exactement la série qui était prévue initialement et le point d’arrivée ne se trouve jamais où on l’imaginait. À vrai dire, je me suis progressivement lassé de ce sujet et même s’il s’agit d’un thème infini, j’ai l’impression d’en avoir fait le tour. En ce sens, le grand avantage de cette édition c’est de clore de belle façon le processus.